Résumer ce numéro d’Europe, très riche, est impossible. Les deux dossiers présentés recourent à de nombreux spécialistes, dont les contributions permettent un état des études les plus récentes concernant les deux écrivains, sont accompagnées de repères bio-bibliographiques très précis.
Le dossier sur Prévost s’ouvre par un entretien, « Un chemin contre l’oubli », entre Jérôme Garcin, qui a puissamment contribué à ce que le souvenir de l’écrivain ne se perde pas, et Emmanuel Bluteau, qui consacre, par ailleurs, une étude à l’entrée en guerre (cette fois il s’agit de la deuxième) de Prévost. L’itinéraire de ce « pacifiste qui prend les armes » est intéressant car il appartient à un courant profondément hostile à la guerre, étranger à toute haine à l’égard de l’Allemagne. « La guerre, souligne-t-il dans La NRF d’août 1939, cesse d’être meurtre pour devenir légitime défense ». Bluteau souligne la lucidité de R. Rolland, qui, dès 1933, refuse la médaille Goethe et se démarque de Chamson, Guéhenno, Prévost, Romains ou Giraudoux « qui veulent et voudront encore longtemps croire à la paix. » Sans parler de Giono qui en 1937 clamera qu’il préfère « être Allemand vivant que Français mort ». H. Baty-Delalande étudie l’importante collaboration de Prévost à la revue de Paulhan, dans « Jean Prévost et La NRF » (plus de 300 contributions entre 1924 et 1939).
Certaines des remarques de J. Garcin sur « le bon choc collabo », mettant en cause l’attitude des faiseurs d’opinion ou de silence, sur l’oubli dont Prévost a été victime, avant que son essai d’il y a vingt-cinq ans relance l’intérêt collectif, pourraient s’appliquer à Guéhenno : « Au nom de Céline, on laisse accroire que tous les salopards avaient un talent identique… ». Garcin ajoute que la dénonciation par Sartre de la « littérature radicale-socialiste », conçue pour les petits professeurs, fonctionnaires, médecins, l’association de Prévost avec un certain courant littéraire populiste, son génie transversal et la multiplicité de ses centres d’intérêt ont achevé de l’anéantir. Le dénonciateur en chef, lui, a cultivé une ambiguïté étrangère à Prévost, Pierre Bost, Chamson (et Guéhenno).
Prévost – n’oublions pas que nous sommes cette fois en septembre 1932 – dans sa présentation de la revue Europe pour les lecteurs de la Revue des Vivants oppose à Robertfrance Guéhenno « au talent sentimental et nerveux, dévoué à sa cause et à ses amis, au point de considérer la partialité comme un devoir. »
Il faut signaler aussi le dossier sur le traité de Versailles dans le même numéro. B. Cabanes y démonte les affirmations célèbres de Keynes (qui inspirent encore beaucoup de manuels scolaires) sur l’énormité des réparations demandées à l’Allemagne après la Grande Guerre, « beaucoup moins que ce que versa la France après 1870 » ; B. Cabanes cite aussi un texte émouvant de Raoul Girardet sur le culte des morts entre 1918 et 1939. L’entretien avec Arndt Weinrich, « Mémoires en miroir » sur la perception différente du premier conflit mondial en Allemagne, moins commémoré qu’en France, présente également beaucoup d’intérêt.
Jean-Kely Paulhan, septembre 2019